Il y a là du poivre, de la vanille, de la cardamone. Le guide raconte leur histoire, nous apprend à les reconnaître. Ici, il froisse une feuille et gratte une écorce. De la cannelle. Ailleurs, il fait sentir les longues fleurs violet-pâle d’un giroflier. Plus loin, il sépare un fruit jaune. Au cœur, un noyau brun sombre entouré d’une écorce rouge sang ; une noix de muscade et son macis. Nous sommes ici dans une des nombreuses plantations de Zanzibar et ce pourrait être le Jardin d’Eden tant la nature y est luxuriante et paisible. Mais voilà. A écouter l’histoire de ces plantes, on comprend vite qu’elles furent synonymes de mort et de profit pendant plusieurs siècles. La recherche des épices et le monopole de leur exploitation engendreront en effet dans l’Océan Indien des décennies de luttes sans merci.
La très belle exposition « Aventuriers des mers » organisée par l’Institut du Monde Arabe vient de se terminer. L’occasion, pour celles et ceux qui n’ont pu la voir, de reprendre sur notre site, les grandes lignes de l’épopée des épices qui motivèrent la curiosité des explorateurs mais aussi l’avidité de leur commanditaires. Déjà, dans l’Antiquité, les épices et plantes aromatiques d’origine lointaine avaient séduit les hommes par leurs saveurs brûlantes ou subtiles. Difficiles à se procurer, elles faisaient l’objet d’un commerce fructueux. Cargaison de petit volume léger et facile à caser sur les bateaux, les épices étaient amenées de l’Inde par d’habiles navigateurs chinois, indiens et malais, jusque dans les ports de l’Arabie d’où elles étaient transportées par caravanes et revendues très cher par les marchands arabes aux commerçants méditerranéens. C’étaient des denrées de luxe et les Romains, qui les appréciaient énormément tant comme médicaments que comme assaisonnements – Pline l’Ancien cite le poivre, la girofle, la cardamome et le gingembre parmi les épices apportées d’Orient-, les nommèrent « species », qui signifie quelque chose de rare et de spécial. Plus tard, l’intérêt pour ces saveurs exotiques s’éveille en Europe lors des croisades en Terre Sainte. Les Croisés rapportent des épices dans leurs bagages, fabulent sur leur origine comme l’avaient fait avant eux les explorateurs Arabes, tel que Ibn Battûta, soucieux d’entretenir le mystère de leur provenance.
Ce n’est pas la curiosité culinaire qui pousse l’Occident à se lancer dans l’aventure, mais bien plutôt par l’appât du gain, la volonté d’une hégémonie politique et économique, le tout sous le prétexte de ramener des âmes à Dieu. Une cargaison de poivre valait alors mille fois plus que des barils de poudre. Les souverains européens, tel Manuel 1er du Portugal, arment des expéditions pour tenter de percer ce secret. En contournant l’Afrique par le Cap de Bonne Espérance, le portugais Vasco de Gama fait la fortune de son pays. En arrivant aux Indes, il s’écrie « Christo et epiceria » ! En 1502, les Portugais s’établissent à Cochin et font main basse sur le commerce du poivre. Ils continuent leur route vers Ceylan en 1505 et s’emparent de la cannelle. En 1511, c’est la prise du port de Malacca en Malaisie, puis de Java et des Moluques, royaume de la muscade et du girofle. Des comptoirs fortifiés fleurissent un peu partout sur les côtes de ces îles formant une chaîne solide et structurée quasiment jusqu’en Europe. La guerre des épices vient de commencer. A suivre….