Séjour à Zanzibar : les portes sculptées de Stone Town

Elles seraient environ 500, disséminées un peu partout dans la ville de Stone Town et la plus vieille daterait de 1694. Toutes sont protégées par le Stone Town Conservation and Development Authority. Elles, ce sont les fameuses portes sculptées qui ornent encore les belles maisons de Zanzibar. Présentes un peu partout le long de la côte est de l’Afrique, elles sont particulièrement nombreuses dans l’île aux épices, témoin d’un riche passé et d’un mélange de cultures unique en Afrique.

La tradition veut que, lorsque qu’une maison est construite, la porte soit installée en premier. C’est encore vrai de nos jours même si, généralement, ce sont des portes provisoires, les définitives étant encore dans les ateliers des menuisiers locaux. Avec l’essor touristique de Zanzibar et la rénovation des vieilles demeures en hôtels, cet art de la porte sculptée est de nouveau en plein essor. Il suffit de sortir de Stone Town pour trouver, installés en plein air à l’ombre d’un manguier, des groupes de menuisiers au travail. Tout est encore fait à la main avec un ciseau à bois, une paire de gouges et un maillet. Les dessins et motifs sont d’abord dessinés au crayon puis creusés avec des outils rudimentaires et enfin polis au papier de verre. La plupart des portes sont en teck, bois importé mais imputrescible et relativement bon marché. Jadis, les portes étaient taillées dans des bois locaux, manguier, afzelia ou jacquier. Les propriétaires les plus riches les faisaient faire en ébène. Les motifs ont eux aussi changé mais surtout leur présence sur une porte ne signifie plus grand-chose. Ils sont là pour faire joli, ont un but essentiellement décoratif. Ils ne témoignent plus de la richesse, de la fonction et du statut social du propriétaire de la maison.

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Une porte comme carte d’identité

Dans l’histoire de Zanzibar, les portes sculptées ont joué un rôle social de première importance. Plus une porte était grande et belle, plus le propriétaire est riche et influent. L’explorateur anglais Richard Burton écrivait d’ailleurs en 1873 : « Plus haut est le linteau, plus grande est la porte, plus lourde est la serrure, plus gros sont les clous, plus importante est la personne  !  ». Au moment de sa splendeur, à partir du la fin du XVIIIe siècle, Stone Town est divisée en quartiers distincts avec chacun une population différentes (Noirs, Arabes, Blancs, Indiens) et une activité économique propre. Les portes permettaient de savoir dans quel quartier on se trouvait et, puisque la quasi-totalité du commerce se faisait dans les maisons, elles indiquaient aussi chez qui on allait. Et pour savoir tout cela, il suffisait de lire la porte grâce aux motifs  sculptés. S’il y a une fleur, c’est que la maison est habitée par une seule famille. S’il y a plusieurs fleurs, cela veut dire que plusieurs familles cohabitent. L’ananas est symbole de signe de bienvenue et d’hospitalité, alors que les palmes sont symboles de richesse et le lotus, de bonne santé et de fertilité. S’il y a des inscriptions en arabe, généralement des citations du Coran, c’est que la maison appartient à un Omanais. A défaut, vous êtes chez un Indien. S’il y a un poisson, cela veut dire que le propriétaire a plusieurs bateaux de pêche. Une corde, il est un armateur  ; une vigne, il est marchand d’épices  ; des figures géométriques, il est comptable  ; des perles, il est joaillier  ; des chaînes, il est marchand d’esclaves. Bien entendu, ces motifs peuvent avoir plusieurs significations. Ainsi des chaînes qui, après l’abolition de l’esclavage en 1873,  grâce à l’action de David Livingstone, sont devenues synonymes de force et de sécurité. De plus, ces motifs sont placés à des endroits bien définis. Le lotus se retrouve souvent sur le pilier central, la chaîne plutôt en bas des linteaux latéraux, de même que les poissons, alors que les palmes et les ananas sont à mi-hauteur. Les citations du Coran sont toujours sur le linteau supérieur.

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Porte en construction chez un menuisier

Influence omanaise et indienne

Les navigateurs arabes fréquentent la côte Est de l’Afrique, de la Somalie au Mozambique, depuis le Ve siècle. Ils viennent y chercher de l’or, de l’ivoire et des esclaves en profitant des vents de mousson qui poussent leurs navires d’est en ouest. Mais, puisque pour retourner vers la péninsule arabique, il leur faut attendre plusieurs mois que les vents s’inversent, nombre d’entre eux s’établissent sur la côte, créent des comptoirs qui aujourd’hui s’appellent Lamu, Mombasa, Stone Town, Bagamoyo, Kilwa, Pemba…De ce mélange de cultures arabe et africaine nait la culture swahili. L’arrivée des Portugais à partir du XVe siècle porte un coup d’arrêt à ces échanges qui reprendront de plus belle à partir du XVIIe avec les Omanais qui finiront par faire de Zanzibar leur capitale en 1840. Les portes de cette période se reconnaissent aisément. Elles sont rectangulaires, richement décorées et portent toutes des citations du Coran. Les motifs les plus représentés sont la corde, le lotus, les palmes et les chaînes, la plupart des riches arabes pratiquant la traite à grande échelle comme le tristement célèbre Tippu Saïd.  Au XVIIIe siècle, le développement de la culture et du commerce des épices entraînent de nombreux échanges avec l’Inde et des Indiens viennent s’établir à Stone Town. Ils apportent avec eux deux types de porte  : la « Gujarati » et la « Punjabi ». La porte Gujarati est carrée et divisée en deux vantaux afin de ne laisser passer qu’une seule personne à la fois et ce afin de sécuriser leur boutique, les Indiens étant essentiellement des joailliers. On en trouve beaucoup dans le quartier de Kiponga. En Swahili, le vantail droit de la porte est appelé « mlango dume » (porte mâle) et le vantail gauche, « mlango jike », (porte femelle). La porte Punjabi se reconnait encore plus facilement grâce à sa forme en arche et ses panneaux parsemés de clous en cuivre, jadis utilisés pour protéger la maison contre les attaques d’éléphants. On dit d’ailleurs que de nombreux éléphants vivaient sur l’île de Zanzibar avant l’an 1000 de notre ère. Marco Polo le confirme même dans ses récits de voyage en 1295. Mais bon, au XIXe siècle, il n’y a plus un seul éléphant sur l’île et les clous ont alors surtout une valeur décorative qui ajoute au symbole de richesse du propriétaire.